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La lutte contre la pandémie du COVID-19 ne vise pas tant à enrayer sa propagation qu’à révéler le sens d’un monde dès lors qu’il est porté par la relationnalité. En d’autres mots, on impose le confinement, la distanciation sociale, l’hygiène et le port des masques non tant pour résoudre un problème sanitaire que pour indiquer ce que cela représente pour l’humanité de relever de relations portées par un dialogue régulé par les composantes du don et du service. Il n’en est pas ainsi dans les circonstances normales qui s’apparentent aux relations entre les individus voire entre les pays. Nous étions habitués aux relations de supérieur à inférieur, de riches aux pauvres, de bailleur de fonds au demandeur d’aide, etc. Tout cela était certifié par la signature « politique », qui accompagne la gestion de nos relations sociales, interétatiques, et économiques. Aujourd’hui, nous sommes en train de redécouvrir la politique (organisation de la cité) et son importance dans la vie humaine tout court. En fait, il a fallu prendre des mesures appropriées pour faire face à l’expansion exponentielle du covid-19 ; et des meilleures politiques se sont distinguées par une bonne lecture des signes des temps afin d’envisager à temps des stratégies préventives et des approches holistiques qui s’imposent.

C’est tout cela qu’il y a entre autres choses, dans l’art de gouverner les hommes. Il ne s’agit uniquement pas d’organiser des réunions et effectuer des voyages à tout bout de champ ; parfois loin de sa famille et pas nécessairement pour le bien de l’intérêt général. Faire la politique, c’est dire en effet que sa logique dépend de la logique de Vie, c’est-à-dire d’une logique de sacrifice et de service. C’est pourquoi il est préférable de parler d’homme politique comme d’un serviteur plutôt que de le désigner comme d’un petit dieu maître des hommes. Ceux-ci sont par nature des êtres de relations « harmonieuses », et interdépendants, tout à la différence des contemporains déchirés par l’individualisme qui conduit au parasitisme aberrant, aux compétitions fourbes et au vol déguisé.

Et certes, poser une question politique dans un contexte de la pandémie du covid-19, c’est adopter une position de risque. Au fond, ce virus a déterré un certain nombre de problèmes dont on commençait à perdre la conscience. Il s’agit surtout des problèmes relatifs aux relations internationales, aux relations d’autorité entre les peuples et leurs chefs, aux relations entre riches et pauvres, bref à la place de la politique dans la construction des relations sans lesquelles la vie humaine est impensable. A titre d’illustration, le problème de la dette extérieure a tout récemment refait surface non pas comme une question qui mérite d’être traitée à nouveaux frais mais comme une simple piste pour alléger le fardeau des pays pauvres et endettés aujourd’hui « économiquement » éprouvés par la pandémie. Et pourtant, il y a 33 ans le Président Thomas Sankara insistait à ce que cette dette soit analysée de par ses origines qui remontent, selon lui, aux origines du colonialisme et du néocolonialisme dont les agents et leurs copains se permettent une gestion mystifiée des Etats et les économies des pays vandalisés, et en profitent pour les endetter auprès des bailleurs de fonds, leurs frères et cousins, en habit d’assistants techniques alors qu’ils sont des assassins techniques (25è Conférence au sommet des pays membres de l’Organisation de l’Union Africaine). Tout cela vient de ce que la notion de service pour dire les rapports politiques est absente du système social actuel. Ce n’est pas pour rien qu’on a pu dire « ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir » (Marc 10,42).

La relationnalité est seule à dire une véritable politique, c’est-à-dire une politique permettant au bénéficiaire de pouvoir à son tour de donner, car « on ne donne pas vraiment si on ne demande rien et si on ne donne pas à l’autre de pouvoir donner » (A. Gesché). Nous avons ici une nouvelle logique qui fait un clin d’œil à toute autorité qui se laisserait facilement amenée à compromettre son peuple au nom de « fausses » relations bilatérales ou des aides « empoisonnées » ou encore des partenariats ambigus qui se concluent souvent à l’échange des dictats financiers internationaux.

Sans doute, avec les menaces du covid-19, certaines relations sociales et internationales vont être ressuscitées, à la demande ou non des individus ou des pays démunis. Mais, que l’on se souvienne, que des rapports humains, quels que soient les niveaux ou les intérêts recherchés, puisqu’ils supposent de part en part la subsidiarité et la justice (et leurs implications) sont bien humanisant que des rapports de domination, de soumission, d’exploitation, de manipulation anonymes (qui n’ont rien à voir avec les valeurs morales d’obéissance et de reconnaissance). Mais, ici encore, cette humanisation des relations, est le prix à payer, le seul prix qui mérite d’être payé, pour gagner de véritables relations dignes de l’homme.

Ceci est capital. Certes ce thème de « relationnalité » doit être corrigé et affiné pour ne pas verser dans l’excessive dépendance et dangereuse fusion. Cela dit, l’important est que cette relationnalité rend précisément l’humain véritablement épanoui. D’où la nécessité des institutions politiques qui accomplissent leur ultime rôle d’établir des relations justes entre les humains et au regard des biens – matériels, culturels, moraux et spirituels – nécessaires pour conduire une vie vraiment humaine. C’est cette vérité qui a amené Saint Léon à dire : « C’est une avarice injuste et insolente que celle qui se flatte de rendre service alors qu’elle trompe… ». Aujourd’hui et après le covid-19, il faut donc des hommes et des femmes libres du désir excessif du profit (l’argent) et du pouvoir, car privatiser ces deux choses c’est mettre toute la vie entre les mains de banquiers et de dictateurs ; et, sans le consentement de ces derniers, nul ne peut plus respirer.

Rugaba J. Julien
Programs Manager – JUC