Ce mercredi 21 octobre 2020, dans la salle polyvalente du JUC à Remera, nous avons eu l’honneur d’accueillir Dr Mujawamariya Jeanne d’Arc, Ministre de l’environnement au Rwanda, Son Excellence monseigneur Antoine, Archevêque de Kigali, et Monseigneur Bruno Marie Duffé (via Zoom). Leurs interventions respectives sur l’importance du partenariat entre la religion et l’Etat en matière environnementale, l’écologie intégrale comme modèle nouveau du projet de paix (autre nom du développement intégral), et la façon dont l’Église catholique reflète la voie de Laudato Si’ dans la région des Grands Lacs d’Afrique ont successivement introduit cette conférence avant de laisser la parole aux intervenants de la première session.

    Son Excellence Antoine Kambanda et Hon. Dr. Jeanne d’Arc Mujawamariya

Cette dernière a été animée par les Révérends Pères Patrice, S.J. et Symphorien, O.P., dont les interventions ont cherché à articuler l’appel de Laudato Si’ dans le contexte social et culturel des peuples Africains. Le premier a abordé la pertinence des mystères chrétiens de la création et de l’incarnation dans une région aux prises avec le changement climatique dont la racine principale est sans douté l’activité « irresponsable » de l’homme. Il a ensuite évoqué l’accusation de ceux qui ont associé la cause de la crise environnementale actuelle avec la religion judéo-chrétienne de par le récit biblique qui confère à l’humanité le droit de domination sur la terre (Genèse 1, 28). Après avoir écarté cette  hypothèse par une herméneutique correcte de la doctrine de la création qui met l’accent sur la vocation de l’homme à gérer la création de Dieu,  l’intervenant a condamné toute tendance humaine à vivre cette vocation d’une manière trop humaine et égoïste, l’invitant ainsi à l’exercer selon la volonté de Dieu : celle de transformer pour donner plus de vie. Cette invite a été renchérie par l’exemple d’un Dieu qui, au nom de la compassion s’unit à l’humanité non pas pour l’élever au-dessus des autres créatures mais pour la conduire à la conversion existentielle et intentionnelle aux relations salutaires avec toute la création. Le second a fait la même démarche à partir de la sagesse africaine d’Ubuntu qu’il a sportivement appliquée à tout élément de la nature. Le « Je suis parce que vous êtes/I am because you are » (John Mbiti), est une reconnaissance des relations  d’interdépendance vitale entre tous les êtres – organiques et inorganiques – dont le respect et l’entretien peuvent assurer harmonie environnementale et développement durable. Selon le conférencier, ces deux aspirations humaines sont interconnectées et leur réalisation passe par la mise en place des projets dont les points de départ et d’arrivée sont : le peuple en communauté. Autrement dit, le modèle africain de développement doit sa viabilité à l’accent mis sur la justice écologique et communautaire, c’est-à-dire une justice envers les ancêtres, les vivants et les générations futures.

La seconde session et dernière de la journée, tenue dans l’après midi, fut une véritable confrontation entre les politiques environnementales et les problèmes environnementaux les plus cruciaux comme l’insécurité alimentaire dans les pays pauvres où les conditions de vie sont gravement affectées par la technocratie et la révolution digitale. Mr Ottaro Allen, a démontré le grand faussé qui existe entre les accords et les conventions – qui se sont multiplié depuis la conférence de Stockholm sur l’environnement (1972)  et que plusieurs pays ont pris plaisir de ratifier – et la décadence de l’environnement doublée d’une crise écologique sans précédent dans la même période. Il a ensuite justifié cette malheureuse situation par un engagement limité et l’absence criante de chacune des catégories des personnes – y compris les jeunes – dans les cadres de prise de débat et décisions sur les questions environnementales. Cela est aggravé par un manque de  compétences financières et techniques qui, selon P. Ghislain T. Matadi, S.J.,  maintiennent injustement les populations africaines dans la pauvreté, alors qu’elles disposent d’immenses ressources et de potentialités inédites.

Démontrant comment l’économie verte peut assurer la sécurité alimentaire dans les pays dits « pauvres » d’Afrique, le conférencier a condamné le gaspillage qui, à ses yeux, est la caractéristique des pauvres. Pour preuve, il a fait éloge de l’existence d’une nécessaire interrelation entre toutes les créations ; par conséquent, de tout ce que Dieu a créé, rien ne devrait se perdre. D’où il appelé les jeunes participants à se montrer créatifs et solidaires à l’instar des jeunes qu’il a accompagnés dans sa ferme agricole à transformer même les déchets pour produire à manger (la culture des champignons, pour ne citer qu’un exemple). Ainsi, ils pourront faire preuve d’innovation sans laquelle les aléas comme la covid-19 continueront de nous frapper sans merci chaque fois que nous déciderons de faire cavalier seul ou de faire prévaloir l’esprit de compétitivité, caractéristique du monde numérique.

Ce monde, qui est le nôtre, n’est pas aussi bon qu’on l’espérait, a argumenté A. Fabien Hagenimana. Ses avancées technologiques pourraient avoir rendu la vie plus facile qu’auparavant, mais il a aussi porté d’amers fruits. L’environnement qui est originellement « notre maison », est désormais réduit à une simple source de ressources qu’on exploite sans compter ni penser à tout homme, notamment le pauvre au point de mourir ni les générations à venir. La technocratie et l’anthropocentrisme ont fait du  monde un village globalisé dans lequel la minorité mange excessivement à côté d’une majorité affamée qui meurt massivement. Le danger, prévient le conférencier, c’est que nous essayons de résoudre tous ces problèmes avec la même mentalité qu’ils l’ont été créés (Albert Einstein). Ceci dit, la vraie question à poser aujourd’hui est loin d’être « Que faire ? » mais plutôt « Avec quelle philosophie et culture faire ce que nous devons faire ? ».

Rugaba J. Julien

Chargé des programmes, JUC